« La famille hier, aujourd'hui et demain »

Conférence donnée le 17 novembre. 1997, à l’hôtel Maritim, Frankfurt am Main

 

Parfois nous entendons des personnes défendre la famille sur un même pied que d'autres institutions politiques, religieuses ou éducatives. Il s’agit selon moi d’une approche erronée et contre-productive. Tout d'abord, il existe à travers le monde des types très différents de structures familiales qui ne correspondent pas toutes à mon idéal d'une famille. Mais surtout, on ne défend pas la famille comme l’on défend les institutions démocratiques, les monuments historiques ou les causes environnementales telles que la conservation des baleines. La famille est l’institution centrale à laquelle les autres institutions doivent leur signification et existence. Posons quelques questions : Pouvons-nous sauver le système d'éducation si la famille s’effondre ? Pouvons-nous défendre les institutions démocratiques, les droits de l'homme ou les droits d'enfants si la famille décompose et ne peut plus transmettre des valeurs démocratiques telles que le respect des autres, le sens du devoir et un usage responsable de la liberté ? Pouvons-nous promouvoir l’autorité de la loi si l'autorité des parents est remise en cause ou minée ? La réponse est simplement non.

Le rôle central joué par la structure familiale dans l'histoire, dans diverses sociétés et cultures a été en grande partie sous-estimé par des historiens. Toutefois, l’on dispose d’un certain nombre d’études sociologiques et historiques vont à l’encontre de l’idée répandue par le politiquement correct selon laquelle les facteurs économiques et sociaux sont décisifs pour l'éducation et le développement des enfants. Bien sûr, si une famille vit dans la pauvreté extrême, il est difficile sinon impossible d'instruire des enfants correctement. Mais certaines cultures et structures familiales génèrent de la pauvreté tandis que d'autres génèrent le développement économique.

Ainsi des recherches conduites par des agences intergouvernementales et des ONG montrent que le type de famille et le progrès économique sont étroitement liés. Le rôle des femmes dans des économies du tiers monde est un critère très important. Par exemple, les études en Inde prouvent que l'alphabétisation progresse beaucoup plus vite dans les états où les femmes jouent un rôle social important (Kerala, Tamilnadu) que dans d'autres où les mères n'ont pas le pouvoir ou l'autorité nécessaire pour encourager les enfants à étudier. En niant le rôle ou le potentiel des femmes, une société se condamne à la stagnation.

Cela vaut non seulement pour le tiers monde mais également pour des économies occidentales. Ainsi le sociologue Christian Jelen dans son étude sur les vagues d’immigration en France (« La famille, secret de l'intégration » éditions Robert Laffont) a comparé l’évolution des groupes d’immigrés chinois, vietnamiens et africains en France.

En venant en France, tous ces groupes étaient dans des situations économiques très difficiles. Les immigrés asiatiques avaient fui en masse après l’arrivée du communisme le Vietnam, le Cambodge et le Laos. Les premiers immigrés africains ont été invités par les industriels français qui recherchaient de la main d'oeuvre  pendant les années 60 pendant que l'économie française se développait rapidement. Puis à partir de la fin des années 70, leurs familles les ont suivis, quittant des villages africains avec presque rien alors que la situation économique en France se dégradait.

Au fil des ans, des différences importantes apparaissent dans l'évolution de ces groupes. Très rapidement les immigrés asiatiques se sont intégrés dans la société française, ont développé beaucoup de petites entreprises, leurs enfants s'adaptant bien au système d'éducation français et dans les quartiers avec une forte immigration asiatique à Paris, le taux de crime est inférieur à la moyenne.

D’un autre côté, beaucoup de familles d'origine africaine sont restées dans une situation de pauvreté, le taux de criminalité dans les quartiers avec un pourcentage élevé des immigrés africains peut être deux ou trois fois plus haut que la moyenne et beaucoup d'enfants ont des difficultés spécifiques à l'école. Bien sûr, il s’agit de statistiques et d’une vue d’ensemble et l’on peut trouver beaucoup d’hommes et de femmes d'origine africaine ayant réussi et parfaitement intégrés France.

Les différences dans l’évolution de ces groupes sont liées selon l’étude de Jelen, à la famille. Asiatiques après que leur venir en France ait maintenu leurs traditions du respect des aînés, leur emphase sur l'éducation tandis que beaucoup de familles africaines éclataient littéralement en leur contact avec la culture française ou essayaient de garder leur identité en se coupant de la société française. Le respect pour les aînés qui ne pourraient pas s'adapter à la société française a disparu, la tradition pour laisser des enfants dehors dans la rue qui a été bien adaptée à un village africain avec donner sur d'aînés ce qui continuait, ouverte la manière dans les banlieues parisiennes pour une école de rue pour le crime.

Jelen a noté que la polygamie était un handicap très sérieux pour l’intégration dans la société française. En dépit d’aides sociales importantes par le biais des allocations familiales, ces familles ne trouvent pas facilement un logement approprié pour plusieurs épouses et un mari, les enfants souffrent de retard dans l’éducation et les épouses en raison de leur style de vie sont coupées des autres françaises.

Il y a quelques années, je parlais avec une jeune arabe instruite ayant passé l’essentiel de sa vie à cité des 4000 à La Courneuve. Évaluant l'impact des programmes gouvernementaux pour améliorer la situation dans cette banlieue, elle m’a dit que pour l’essentiel, cela se ramenait à un gaspillage d'argent. Les organismes gouvernementaux se concentraient principalement sur les enfants d’immigrés, entre 15 et 20 années en essayant de les gagner avec divers financements, des aides sociaux, la construction de piscines ou de salles de sport etc.. Or, selon elle, en se concentrant sur les adolescents, on agit sur un groupe pour lequel il est pratiquement trop tard, il faut agir au niveau des familles en soutenant les parents, les aidant à jouer correctement leur rôle, organisant des forum avec eux. Comme ces parents n’arrivent plus à remplir leur rôle de parents, il en résulte une criminalité élevée et toutes sortes de problèmes.

Ces dernières années, les politiciens sont de plus en plus intéressés par le sujet de la famille. En juin dernier, lors d’un congrès de la Fédération de la Jeunesse pour la Paix dans le Monde à la laquelle j’ai assistée en tant que président de la branche française, l’ancien Président Bush nous a dit que les « gens doivent comprendre que, comme le dit souvent mon épouse Barbara, ce qui importe n'est pas ce qui se passe à la Maison Blanche mais ce qui se passe dans chaque foyer. » Aux USA, non seulement les républicains mais également des démocrates parlent de la famille. Ainsi, l’ancien Président Clinton a inauguré un « jour des parents » célébré tous les ans aux USA.

Emmanuel Todd a effectué il y a un certain temps des études intéressantes sur les liens entre les divers types de structures de famille et l'environnement politique, religieux et culturel. Dans ses études sur la famille, il a identifié beaucoup de types des familles (nucléaire, étendue, matriarcat, patriarcat) avec quatre catégories qui sont combinées de diverses manières. Ces catégories sont les familles marquées par l’inégalité entre les frères et soeurs, en particulier concernant l’héritage avec le fils aîné favorisé, familles égalitaires avec tous les enfants sur le même niveau, de type autoritaire avec des enfants dépendant de leurs parents même après l'âge adulte de atteinte et les familles libertaires où les enfants quittent librement la famille et se marient à l'extérieur quand ils atteignent l'âge adulte. Il interprète ainsi la révolution française avec son conflit entre les valeurs de liberté et d'égalité comme le reflet d'une lutte au sein des familles autour des questions du droit d’aînesse, de l’égalité entre les frères, de la liberté par rapport aux liens familiaux.

Ce qui est intéressant chez Todd, c’est que c'est la structure familiale, pas l'environnement socio-économique ou même religieux, qui est le facteur le plus fondamental pour définir une culture. Par exemple, si l’on dit qu'une société appartient au monde islamique, cela donnera certains traits très généraux de cette société mais vous trouverez des différences plus profondes entre les différentes sociétés musulmanes comme entre celles monogamiques de Bosnie ou de Malaisie et celles de l’Afrique noire polygame.

Cet intérêt pour la famille ne doit pas être mal interprété. Nous nous rendons compte de l'importance de la famille parce que la détérioration de la famille dans le monde occidental a atteint presque partout un état critique. C’est comme pour l’air, nous nous rendons compte de son importance quand nous en sommes privés et suffoquons.

Cet intérêt vient après un siècle de réduction du rôle de la famille et d’augmentation du rôle de l'état et de l'individu contre la famille.

Dans le passé, sociétés, les familles principalement rurales, nucléaires ou élargies, jouaient un rôle crucial dans le développement des qualifications économiquement utiles pour les enfants, en transmettant des règles et des valeurs morales ainsi qu’en soutenant les personnes âgées ou handicapées.

La modernisation des 19èmes et 20èmes siècles a provoqué plusieurs changements parmi lesquels une urbanisation générale des populations, la centralisation politique et un rôle croissant de l'état. Certains de ces changements ont eu une influence positive la vie de famille. Aujourd'hui, même les marxistes les plus radicaux ne nieront pas qu'il y a eu une tendance générale vers des standards de vie plus élevés pour des familles aux Etats-Unis et en Europe. Les statistiques montrent une diminution régulière du taux de mortalité infantile ou des personnes pas capables de lire ou écrire.

Mais ce processus de modernisation a été accompagné de deux phénomènes qui, à terme, ont exercé des effets dévastateurs sur la famille. Le premier de ces phénomènes a été l'interférence croissante du gouvernement dans la vie de famille, ce qui a tendu à diminuer le rôle et les responsabilités des parents.

Pour compenser les nombreux problèmes sociaux dans les villes liés à l’industrialisation, face à un échec du christianisme à relever les défis sociaux et à remplir l'espace laissé par la rupture des liens traditionnels, le gouvernement en est venu à jouer un rôle croissant dans la vie sociale, éducative et familiale. Ceci a été fait avec les meilleures intentions mais comme le dit le proverbe « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».

Aux Etats-Unis et en Europe, les effets secondaires des politiques gouvernementales pour aider les pauvres et les familles ont été très bien documentés. Parler des effets secondaires est un euphémisme parce que ces politiques, en dépit des milliards de dollars dépensés, n'ont pas réduit le pourcentage de pauvres et se sont accompagnées d'une élévation marquante des familles monoparentales, des grossesses d'adolescent, des divorces etc….

Je voudrais juste mentionner un exemple parlant concernant l’aide aux mères célibataires. Des études américaines ont montré que parmi des noirs, le pourcentage des mères célibataires était le plus haut dans les villes où l'aide gouvernementale pour les mères simples était la plus haute. Ainsi, dans les années 60 à Albany, dans l’état de New York, les familles monoparentales n'étaient pas plus fréquentes parmi les noirs qu’à Greenville en Caroline du Sud et le niveau de vie moyen était d’environ 20% supérieur. Au cours des années 70, alors que l'assistance et les différentes formes d’interférence gouvernementale se développaient beaucoup plus dans l'état de New York que dans le sud, le taux des familles monoparentales est devenu plus de deux fois plus haut à Albany qu'à Greenville. Le raisonnement courant dans l'Etat de New York parmi les noirs pauvres était « pourquoi une jeune femme mère devrait se marier avec le père si ce dernier est chômeur ou gagne un salaire minimum quand elle peut obtenir sensiblement plus que ce salaire de l'Etat en restant célibataire ». Le rôle du père a été ainsi nié et de nombreux enfants ont été élevés sans vraiment savoir qui leur père était.

Je voudrais dire quelques mots sur mon expérience personnelle en tant que père de cinq enfants vivant dans une banlieue au sud de Paris.

Cette année et l'année dernière, quand deux de mes enfants sont entrés à 11 années au collège, ils ont rapporté à la maison une circulaire du département de santé de l’académie de Créteil demandant de les vacciner contre l’Hépatite B, le papier disant « comme votre enfant va commencer sa vie sexuelle, nous vous conseillons de le faire vacciner contre l’Hépatite B ». J'ai répondu chaque fois par une lettre disant que j’étais pour la vaccination contre l’Hépatite B parce que cette maladie est facilement transmise mais certainement pas parce que mon enfant « va commencer à 11 années sa vie sexuelle ». De même, dans les campagnes contre le Sida, les autorités éducatives semblent penser qu'il est tout à fait normal qu’elles aillent dire aux enfants à l'école comment et quand avoir des relations sexuelles sous prétexte de les protéger contre le Sida comme si les parents n'avaient rien dire sur ces sujets.

Il y a un problème qui peut ne pas sembler à priori si important : le manque de respect. Le collège local a envoyé récemment aux parents un questionnaire leur demandant de choisir entre le Sida, les drogues, la violence et le racisme, le problème qu’ils considéraient comme le plus important pour leurs enfants au collège. J’ai répondu que selon moi, le problème le plus urgent était selon moi ni le Sida,ni les drogues ou le racisme mais le manque de respect envers les professeurs et les parents. La consommation de drogue, l'élévation de la violence ou du taux de suicide chez les jeunes sont des symptômes. Beaucoup d'études montrent qu'ils sont étroitement liées avec un éclatement des familles et une perte d’autorité des parents. Il y a eu récemment en France une vague d’incidents violents contre des professeurs allant jusqu’au meurtre, phénomène complètement nouveau. Si l’on prend le respect dans sa signification latine originale de regarder en arrière, prendre du recul devant quelqu’un, il signifie qu'un professeur ou un parent n'est pas simplement un individu mais qu'en regardant derrière eux, on peut voir les générations passées, les développements passés de la science et l'éducation. Le respect est absolument nécessaire pour la transmission des valeurs et de la connaissance du passé aux générations présentes et futures.

Le premier phénomène du rôle croissant de l'Etat a été accompagné d'un deuxième phénomène qui est bien connu : une attaque en règle contre la famille et les valeurs familiales. Cette attaque a pris beaucoup de formes comme la forme marxiste, la famille étant considérée comme un sous-produit de la société ou idéologie bourgeoise, les questions de rapports de classes étant beaucoup plus importantes que les questions de famille, une autre forme étant l’approche freudienne et plus généralement l'hédonisme ne reconnaissant aucune signification de transcendantale à la famille et le mariage étant simplement une manière hypocrite de contrôler ou de réprimer la libido.

Au delà de ces attaques idéologiques, les valeurs familiales sont constamment attaquées dans les médias. Je donnerai simplement un exemple : plus de 80% de scènes d'amour ou de sexe vues sur la TV ou en films concernent des relations adultères. Il semble que l'amour ou le sexe ne sont intéressants à montrer seulement quand ils vont à l'encontre des valeurs morales traditionnelles.

Face à toutes ces attaques, les familles et organisations familiales sont restées plutôt passives, étant peu représentées politiquement et dans les média et ont pris ces tentatives de miner la structure familiale comme quelque chose d’inévitable, lié au « progrès ».

Pourtant, il faut clairement affirmer que les droits des enfants et les institutions démocratiques ne seront plus protégés si la famille s’effondre. Aujourd'hui en France, nous avons un taux de divorce de 36% (autour 50% dans la région de Paris), des familles élevant des millions d’enfants dont plus de 600.000 ne voient jamais leur père. D'une certaine manière, ils sont des orphelins. Comment pouvons-nous parler des droits des enfants si nous négligeons cette situation ? Le premier droit d’un enfant est d'avoir un père et une mère prenant soin de lui.

Il faut clairement comprendre qu'il n'y a pas d’autres structures viables pour le développement spirituel, psychologique et social des enfants que la famille. Les états totalitaires ont essayé de remplacer la famille par l'Etat ; les utopistes socialistes ont essayé beaucoup de choses bizarres comme la mise en commun des femmes dans les phalanges de Fournier, idée qui sera reprise dans certaines communes hippies. Tous ont échoué et ceci simplement parce que leurs tentatives allaient à l’encontre de la nature profonde de l'homme. C'est pourquoi une chose est sûre : les valeurs familiales finiront par triompher parce qu'elles correspondent à la nature originelle de l'homme donnée par Dieu.

Bernard Mitjavile 1997